Bâtir, façonner, représenter
La couleur et les couleurs
L’obtention de pigments et colorants constitués de matières minérales, végétales ou animales est complexe et nécessite des choix parmi les ressources naturelles disponibles, les procédés d’extraction, d’utilisation et les techniques d’application. Les objets colorés (peintures murales, enluminures, tapisseries, sculptures polychromes) sont composites. Par exemple, l’interaction des matières colorantes avec le support ou le liant est complexe et joue un rôle important sur l’apparence colorée et les propriétés de conservation. L’identification des matériaux d’origine nécessite d’en comprendre les phénomènes d’altération.
Nous poursuivons des travaux concernant l’identification des pigments et colorants (peintures, documents graphiques, textiles...), et leur interaction avec leur support, en particulier grâce aux techniques d’imagerie hyperspectrale dans toute la gamme spectrale (visible et infrarouge cout) et de fluorimétrie ultraviolet. Afin d’aller plus loin dans la compréhension des choix effectués dans les différentes sociétés, nous travaillons sur des restitutions virtuelles et des simulations de l’apparence d’origine et à différents stades d’altération (influence de la granulométrie des pigments, reflets métalliques, brillance, perception).
Le corpus étudié comprend des peintures, des polychromies et des textiles du VIIIe siècle avant notre ère au XIXe siècle (en collaboration avec, notamment, la Cité internationale de la tapisserie, le Musée de Cluny et le Mobilier national). Les usages des colorants et des matériaux de la couleur sont étudiés de manière diachronique afin de mieux appréhender leur évolution, les choix techniques, leur utilisation, leur circulation, leur dégradation et éventuellement leur abandon ou remplacement. Le développement de méthodes d’analyse portables permet d’étudier ces objets impossibles à déplacer vers le laboratoire et pour lesquels l’échantillonnage est impossible.
C’est également par le prisme de la couleur que nous abordons, en partie, l’étude des céramiques dans les sociétés anciennes. La couleur des céramiques résulte de choix techniques (pâte céramique et glaçure). Nous cherchons ainsi à comprendre les mécanismes adoptés pour obtenir des céramiques de la couleur souhaitée, et à définir les propriétés des matériaux requis pour l’obtenir. Cette approche basée à la fois sur les matériaux et sur les techniques employées permet de reconstruire les chaînes opératoires et les décors, qui ont subi des dégradations ou qui ont parfois disparu.
La question de la couleur intervient également dans nos recherches sur l’architecture religieuse médiévale et son décor sculpté. Dans ce contexte, la transformation crée une image, et le processus voit s’opposer contrainte matérielle et volonté culturelle.
De plus, la disparition ou l’altération des matériaux de la couleur empêchent parfois une appréciation des œuvres telles que produites ou réalisées par les artistes ou les artisans. Le couplage des études sur les traces d’éléments colorés et des méthodes 3D permet de proposer des restitutions virtuelles des couleurs d’origine, transformant ainsi ces restitutions en véritables outils de la recherche en histoire de l’art ou de l’architecture. Les activités et l’expertise de la plateforme Archéovision, adossée à notre unité, sont dans ce domaine particulièrement mobilisées.
De la matérialité au sens des œuvres
Les monuments et espaces aménagés, les œuvres d’art et objets mobiliers investis d’une dimension symbolique (en particulier dans le domaine religieux ou funéraire) ou d’un usage social spécifique, sont autant d’opportunités d’interroger la relation entre la matière, les matériaux, leur mise en œuvre et les intentions d’ordre esthétique ou symbolique qui sous-tendent la création, qu’elle engendre une œuvre unique et, un artefact fabriqué en série ou une œuvre architecturale nécessairement collective dans sa réalisation.
Dans ce contexte, la transformation ou l’action menée sur de la matière crée une image, un objet, un monument ou un aménagement chargé de sens et le processus voit s’opposer contrainte matérielle et volonté culturelle. Lors de la production des artefacts, le matériau peut être appréhendé tour à tour comme un obstacle ou comme un atout. Il existe également une hiérarchie dans l’utilisation des matériaux.
La matérialité des œuvres, qu’elles soient architecturales ou du registre de la sculpture, nous amène directement à en interroger la nature (type de pierre, de mortier, d’enduit), les spécificités de leur mise en œuvre (exploitation, approvisionnement, dimensions, pose, marquages et tracés, outillage, savoir-faire) et leur rôle concret dans les valeurs portées par l’œuvre au sein de la société qui l’a produite. Cela implique une forme de métrologie qui permet à la fois une lecture archéologique fine des objets eux-mêmes (plans, 3D, texture des surfaces, etc.) jusqu’à la possibilité de restitution de parties disparues ou altérées, la mise en œuvre d’approches quantitatives ou statistiques et des apports essentiels à la datation et la chronologie des œuvres (terres cuites, charbons, bois, mortiers).
Cette approche, qui relève autant des sciences humaines (histoire de l’art, archéologie, anthropologie), que des sciences des matériaux (physique, chimie, géologie) fournit à nos travaux une passerelle féconde entre les disciplines. Elle engendre aussi un besoin d’archéologie expérimentale pour mieux comprendre les différentes manières dont les sociétés ont appréhendé ce rapport aux matériaux, en particulier dans le contexte de la construction.
Nous poursuivons au sein de cet axe des travaux de recherche autour de l’architecture religieuse médiévale et de son décor (Saint-Eutrope de Saintes, Monasticon Aquitaniae) ou encore les recherches sur le recyclage et le réemploi des matériaux dans l’histoire de l’architecture (GDR ReMArch). Nous nous employons notamment à affiner les outils et méthodes d’observation, d’enregistrement, de relevé et de comparaisons, en lien avec les compétences de la plateforme Archéovision. En outre, les recherches autour des mortiers et des terres cuites architecturales (datation par luminescence, archéomagnétisme), sont complétées par de nouvelles approches sur le traitement des surfaces, l’agencement des blocs, les traces et marques d’assemblage.
Publié le 18 juin 2021 , mis à jour le 6 juin 2025.